Entretien avec Sébastien Leroy - Porte-parole de la Journée Nationale de l'Audition

« Dans l’histoire de l’humanité, le bruit quotidien n’a jamais atteint un tel niveau d’intensité et de continuité. »

Entretien avec Sébastien Leroy, Coordinateur et Porte-parole des Campagnes de la Journée Nationale de l'Audition (JNA)

Ava - Pouvez-vous nous présenter La Journée Nationale de l’Audition ?

La Journée Nationale de L’Audition est une association de type loi 1901 créée il y a 26 ans. La JNA vise à diffuser de l’information sur la santé auditive auprès de la population et à susciter la prévention primaire sur ce sujet-là. Chaque année, la JNA organise au mois de mars un événement majeur : la Journée Nationale de l’Audition qui regroupe les acteurs publics et privés du monde de l’audition en France. L’association a organisé cette campagne pour tous les publics : enfants, adultes et seniors.

Ava - Quel est le lien entre La Journée Nationale de l’Audition et la Semaine de la Santé Auditive ?

Il y a 7 ans, la JNA a initié une campagne intitulée : La Semaine de la Santé Auditive au travail.



Peu à peu, nous avons étoffé les programmes par écosystèmes et plus particulièrement, ceux des programmes en entreprise. Cela suivait le mouvement général de prise de conscience des impacts du bruit et de la pénibilité au travail, mais également du renforcement du rôle de la médecine du travail ou encore des programmes de Qualité de vie au travail (QVT).

Cela suivait le mouvement naturel d’une meilleure prévention santé avec le développement de la médecine du travail en entreprise . Nous avons alors initié le programme Santé auditive Forme et Vitalité en entreprise, qui associe des axes de prévention et un volet inclusion. Cette année, pour la 7e édition, la Semaine de la santé auditive s’articulera autour de cette question : « Comment améliorer les conditions de travail des salariés » ? La campagne a pour but d’inciter les entreprises à agir, de manière très concrète, pour prévenir les risques professionnels liés au bruit.

Ava - Le bruit a toujours été présent dans nos vies, pourquoi en faire un sujet majeur ? En quoi perturbe-t-il nos vies, notre santé et notre productivité au travail ?

Aujourd’hui, le bruit est une vraie problématique. Il y en a toujours eu, mais jamais à ce niveau-là de présence et d’intensité. Avec tous les outils de production et l’intensité sonore permanente dans laquelle nous baignons (chez nous, au travail, lors des loisirs, à l’école), nous risquons de développer ce que l’INRS appelle la « fatigue de l’oreille ».

« Les mécanismes de l’oreille sont restés les mêmes que ceux de l’époque où nous étions des chasseurs-cueilleurs. »

Ava - Qu’est-ce que la fatigue de l’oreille ? Comment peut-on la sentir et prévenir son « usure » ?

Le principe simple : on comprend mieux la parole en se levant plutôt qu’en se couchant. Tout au long de la journée, les cellules ont subi un « stress acoustique » et les informations reçues par le cerveau deviennent plus difficiles à décoder. En résultent une perte de concentration, une perte d’intelligibilité et une difficulté à trouver ses mots…

Cela disparait si on laisse nos oreilles « souffler ». Par exemple, durant votre journée, si vous vivez à Paris, vous pouvez  :

  • descendre dans la rue en dehors des heures de pointe ;
  • faire une pause café au calme ;
  • enlever vos écouteurs pendant 30 minutes si vous faites du télétravail ;
  • faire votre jogging sans MP3 ou musique dans les oreilles.

« La vie, sans bruit apparent, ne signifie pas zéro décibel.»

Le principal est d'offrir à nos oreilles un temps de repos nécessaire. Par exemple, la nuit et le temps de sommeil permettent à chacun.e de récupérer de la fatigue auditive accumulée durant la journée. En revanche, il faut préserver ce temps de repos en évitant de s’endormir avec un fond sonore ambiant (musique, écouteurs, télévision, film, radio..)

Ava - Le télétravail peut-il être la solution pour réduire la fatigue auditive ?

La notion de télétravail est intéressante. Avant la généralisation de celle-ci, on pensait que l’audition des salariés allait être préservée. Pourtant, on constate qu’avec les écouteurs et les casques, l’oreille reste très sollicitée. Chacun gagnerait à se poser la question : comment puis-je respecter l’équilibre entre bruit et calme sonore ? Il s’agit d’être attentif à ce curseur au quotidien.

Ava - Quels sont les risques entraînés par la fatigue auditive ?

Le bruit de manière continue fatigue l’oreille et provoque les effets suivants :

  • vous avez plus de mal à suivre la réunion ou la visioconférence, car votre cerveau consomme plus d’énergie pour transmettre les informations ;
  • vous avez des troubles de la concentration, des sifflements, bourdonnements ou acouphènes en milieu ou fin d’après-midi  ;
  • vous constatez le déclenchement précoce d’une presbyacousie (baisse d’audition liée, dans la majorité des cas, à l’âge).

Ava - Au quotidien quels sont les effets du bruit continu sur le travailleur ?

Près de 1 actif sur 2 est gêné par le bruit au travail, selon le nouveau baromètre de l'association JNA réalisé avec Ifop. Pour 30% des télétravailleurs, la gêne liée au bruit serait plus importante qu’avant.

L’effet du bruit continu, particulièrement présent dans certains secteurs d’activités (BTP, agriculture, industrie mécanique, restauration) va perturber la qualité des relations interpersonnelles et la performance des employés. Le travailleur pourra se sentir énervé, irritable, fatigué ou démotivé.

La gêne liée au bruit serait même le déclencheur de conflits, de quiproquos avec la hiérarchie, de demandes de changement d'équipe et enfin, d'arrêts de travail. Vous pensiez que seuls les plus de 40 ans étaient concernés ? Il n’en est rien.  Les moins de 35 ans et plus particulièrement les adultes de 24-25 ans témoignent des répercussions négatives du bruit sur leur santé et sur leur qualité de vie.

« Le capital humain est moins en forme. Prendre soin de la santé auditive, c’est activer de vrais leviers pour une entreprise durable. »

Ava - Comment la relation au bruit a-t-elle changé dans la sphère professionnelle ces 10 dernières années  ?

Il y a un fait très clair : l’humain a bougé. La conscience de la place du bruit est en train de bouger et les attentes sont plus fermes. L’humain montre moins de patience et d'adaptation qu’avant. Dans le baromètre Ifop 2021, 28 % des personnes interrogées déclarent avoir  changé d’entreprise à cause de la gêne due au bruit. Les chiffres sont déjà là. Le bruit occasionne un effet domino qui impacte la RSE et l’image de l’entreprise. C’est le thème de notre conférence de presse qui aura lieu le 17 octobre 2022.

Ava - À la JNA, quelles sont vos préconisations pour les acteurs de la prévention, de la santé et de la sécurité au travail ?

L’association JNA est une ressource, elle encourage tous les acteurs de l’entreprise à organiser leurs propres campagnes. Il s’agit de motiver ces acteurs à proposer des actions en interne : sessions d’informations, serious game, dépistages, ateliers de sensibilisations et conférences. Depuis le mois de juin dernier, de nombreuses entreprises se préparent à prendre soin de leurs salariés en initiant ce type d’activités. Ils savent que les médias vont relayer et cela donne aussi du sens à leur initiative.

En 2022 nous avons aussi publié un nouveau guide inclusion qui analyse la manière dont le handicap auditif peut nuire aux relations au sein de l’entreprise. Il met à disposition de nombreux outils et apports d’experts de l’association JNA. Déjà disponible en version papier, il sera très prochainement en ligne. Il vient compléter les guides dédiés aux dirigeants, salariés et managers.

Chaque équipe est un corps vivant, avec ses propres usages, qui va trouver ses solutions de régulation. Le travail collectif est orienté vers les solutions et peut déstigmatiser certaines situations - dont des conflits interpersonnels -. Il faut autoriser le manager à ouvrir des espaces d’échanges  dédiés à la gêne auditive : par exemple 5 minutes à la fin de chaque réunion hebdomadaire.

« Tous nos outils sont faits pour accompagner l’entreprise. Les bonnes pratiques sont prêtes depuis longtemps. Les dirigeants doivent vraiment accélérer leur adaptation, car le monde a changé. »

Les questions à se poser sont les suivantes : comment accélère-t-on l’inclusion des personnes ayant une perte auditive ? Comment régule-t-on la gêne auditive ? Comment va-t-on objectiver le niveau sonore collectivement et quels processus met-on en place ? À la JNA, nous sommes là pour accompagner, guider et faciliter la mise en place de solutions simples qui dynamisent le bien-être et la performance de vos équipes. La santé passe avant tout. Cette dynamique participe à l’entreprise durable, celle qui prend soin, non seulement de l’environnement, mais aussi de l’humain.